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Formaire, formes et… formats

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Image : https://consecratedeminence.wordpress.com/2013/08/16/watermarks/

Un sujet sur le papier des livres anciens et plus précisément sur la feuille de papier vergé qui donne beaucoup d’informations si l’on sait la regarder.

1) Le formaire (ou formier) : un des premiers métiers du livre imprimé à disparaître.

Le formaire est l’artisan qui réalise les formes, ces objets-outils destinés à recueillir la pâte à papier pour en faire une feuille. Il travaille souvent pour son compte, dans son propre atelier et fournit les fabricants de papier, au moulin.

atelier-formaire

l’atelier du formaire au XVIIIe siècle

Le travail du formaire n’a pratiquement pas évolué depuis que l’on a commencé à fabriquer le papier en Europe dès le XIIe siècle (1ers moulins à papier en Espagne) jusqu’au milieu du XVIIIè siècle, puisque durant toute cette période on ne fabriquait qu’un seul type de papier : le papier chiffon vergé (chiffon de lin).

Vers le milieu du XVIIIe siècle, on verra apparaître un autre papier « à la forme », que l’on nomme papier velin. Un papier lisse et régulier résultant d’une pâte à fibres de coton (linter de coton) et d’une forme à toile métallique, sans vergeures. L’artisan a donc conçu une nouvelle fabrication de formes qui ne laisse pas de trace sur la feuille de papier, à part le filigrane.

verge-velin

2 textures de papier : à gauche papier Vergé, à droite papier Velin

à gauche forme vergé, à droite forme vélin

à gauche forme vergé, à droite forme vélin

Si le métier de formaire a évidemment pris de l’essor avec l’arrivée de l’imprimerie au milieu du XVe siècle, nouvelle « industrie » fortement consommatrice de papier, il a disparu de la chaîne de fabrication du papier avec l’arrivée des machines à fabriquer le papier en continu (fin XVIIIe), où le papier n’est plus fabriqué feuille après feuille, mais sur un long tapis, en rouleau.

2) La forme : description d’une forme vergée

On l’a compris, la forme c’est la matrice de la feuille.

formeLe papier chiffon vergé, omniprésent dans les éditions anciennes, porte les traces de sa matrice. Regardez en transparence une page d’un de vos livres anciens, et vous verrez de nombreuses lignes horizontales et verticales, vous verrez peut-être aussi un filigrane, en un mot vous verrez toutes les traces laissées par la forme dans la pâte à papier.
Non seulement notre curiosité gourmande se pique de tous ces détails, mais surtout, savoir regarder une feuille de papier vergé, savoir reconnaître les vergeures et les chainettes, et donc par conséquent savoir ce qu’est une forme est de la plus grande utilité lorsque l’on cherche, entre autre, à déterminer le format d’un livre ancien

La forme se compose :

  1. d’un cadre de bois
  2. consolidé par des pontuseaux : baguettes de bois dont l’arrête est saillante qui sont fixées au cadre parallèlement à son petit côté
  3. d’un « filtre » ou « tamis » composé d’une trame horizontale de minces baguettes de laiton (les vergeures)
  4. ces baguettes de laiton sont cousues entre elles par des fils métalliques le long des pontuseaux (les chaînettes)
  5. d’un filigrane (symbole réalisé en fil de métal)
  6. d’une couverte, autre cadre finalisant la forme et arrêtant les limites de la pâte à papier.

forme1…et pour voir les pontuseaux, il faut retourner la forme.

forme2

photos sur http://www.briarpress.org/22438

Cette forme est plongée dans la cuve à papier, la pâte se dépose sur le tamis tandis que l’eau s’évacue au travers du tamis. L’angle saillant des pontuseaux facilite l’évacuation de l’eau. La pâte reste sur le tamis et épouse son relief, avec un dépôt plus important dans les creux.
La feuille de papier issue de la forme aura donc les dimensions de la couverte et portera l’empreinte des vergeures, des chaînettes et du filigrane que l’on peut voir par transparence comme ci-dessous :
- lignes très serrées = vergeures (ici horizontalement)
- ligne  « très » écartées = chaînettes (ici verticalement)
- le filigrane = ici une étoile.

vergeures-chainettes

3) A quoi servent ces traces dans le papier ?

L’observation de ces traces peut nous aider à :
- déterminer la provenance d’un papier (grâce au filigrane)
- déterminer l’époque du papier (grâce à l’écartement des chaînettes)
- déterminer certains formats de livre (grâce aux sens des chaînettes)

Les deux premières indications méritent un long développement que l’on fera ultérieurement. Pour les plus curieux et les plus impatients d’entre vous, je vous recommande vivement ces deux articles :
- Les filigranes dans les livres anciens (bibliomab)
- Papiers : le fil et le grain (le bibliomane moderne)

En ce qui concerne les formats de livres — qui dépendent du nombre de feuillets obtenus par pliage de la feuille (reportez-vous à la vidéo explicative) — le sens des chaînettes par rapport au texte peut conforter (ou contredire) le format d’un livre.

Exemple de la problématique à la fin de la vidéo : mon livre a l’apparence d’un grand in-8° ou bien d’un petit in-4° ?
- s’il s’agit d’un in-4°, les chaînettes du papier seront horizontales (parallèles au texte)
- s’il s’agit d’un in-8°, les chaînettes du papier seront verticales (perpendiculaires au texte)

Voici une table de correspondance entre les formats des livres et le sens des chaînettes, qui malheureusement, ne résout pas les hésitations entre 2 formats courants : in-12 VS in-16…

IN FOLIO (2 feuillets dans la feuille), chaînettes perpendiculaires au texte
IN-4° (4 feuillets dans la feuille), chaînettes horizontales au texte
IN-8° (8 feuillets dans la feuille), chaînettes perpendiculaires au texte
IN-12 (12 feuillets dans la feuille), chaînettes horizontales au texte
IN-16 (16 feuillets dans la feuille), chaînettes horizontales au texte
IN-18 (18 feuillets dans la feuille), chaînettes perpendiculaires au texte
IN-24 (24 feuillets dans la feuille), chaînettes perpendiculaires au texte
IN-32 (32 feuillets dans la feuille), chaînettes perpendiculaires au texte
IN-36 (36 feuillets dans la feuille), chaînettes horizontales au texte

perpendiculaires

horizontales

4) Où voir, où trouver des formes ?

Aujourd’hui on peut voir des formes dans les moulins à papier qui continuent la fabrication traditionnelle. La rédaction de cet article m’a permis d’en localiser de très anciens, comme Le Moulin Richard de Bas, mais aussi de découvrir qu’il existe encore des projets de création de papeterie artisanale comme celui de Laurence et Bruno Pasdeloup ! Aussi j’ajoute à la carte des artisans du livre les moulins à papier, symbolisés par une roue à eau.
Et pour se faire fabriquer une forme (j’ai très envie d’en commander une avec notre logo en filigrane) il faut s’adresser à Claudine Latron, dernière formaire en France !


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